L'Automne de la Science dans les bibliothèques L'eau au cinéma
extrait du film Le Jour d’après de Roland Emerich
L’Automne de la science se déroulera du 16 septembre au 21 octobre 2023 autour d'une thématique en lien avec l’un des grands enjeux de notre temps : l'eau. À cette occasion les bibliothèques de la Ville de Paris vous proposent une riche programmation culturelle et de découvrir une sélection de films où l’eau est abordée comme motif cinématographique pour une part, comme l’un des symboles du dérèglement climatique, dans un environnement naturel menacé par le péril écologique, pour une autre part.
Élément nécessaire à la vie, l’eau joue un rôle important dans la plupart des cosmogonies. De tous temps, écrivains, artistes et musiciens se sont attachés à la représenter. Il existe une infinité de films où elle tient une place majeure. D’un point de vue imaginaire, elle fonctionne souvent comme un hors-champ cinématographique (on la voit peu) qui imprime le récit, contribue à créer une atmosphère ou comme catalyseur d’émotions. Elle jaillit, coule, arrose, ruisselle, s’infiltre, capillarise, baigne chante, ondoie, se transforme en neige, glace, brouillard, nourrit, submerge, détruit … l’eau fait peur ou réconforte : de nombreuses scènes mythiques du cinéma s’appuient sur elle. Sa photogénie fait d’elle un décor naturel dont le cinéma documentaire et d’exploration sut se saisir alors qu’il était encore muet.
L’eau symbole de la lutte mythique et harmonieuse entre l’homme et la nature
En 1922, Flaherty réalise Nanouk l’esquimau, le premier documentaire ethnographique de l’histoire du cinéma, dans lequel il magnifie la nature, ici la banquise, tout en décrivant méticuleusement la résistance et l’ingéniosité quotidienne de l'homme dans un milieu de neige et de glace qui lui est hostile. De cette la lutte contre les éléments, contre le vent, le froid, le film tire force et lyrisme qui exalte l’adaptation ancestrale et harmonieuse de l’homme à son environnement naturel.
Photogramme extrait du film Nanook de Flaherty
En 1948, avec Louisiana Story commandé et financé par une compagnie pétrolière, Flaherty laisse aller sa fascination pour l'eau, la faune et la flore d’un bayou de Lousianne. Plutôt que décrire les difficultés et les dangers de l’extraction pétrolière conformément à ce que prévoyait le scénario, il suit avec sa caméra un jeune garçon cajun glissant sur sa pirogue, offrant au spectateur de magnifiques séquences sur l’eau figurant un paradis terrestre et enfantin agressé par la technique moderne. Mais ce n’est qu’à partir des années 1950 qu’émerge une critique sur la façon dont l’homme se comporte à l’égard de la nature et des animaux. En 1958, Nicholas Ray réalise La Forêt interdite. Le film, écrit et porté par Budd Schulberg, le scénariste dénonce les atteintes à la biodiversité dans les Everglades, un système mouvant de rivières situé en Floride. À ce titre, La Forêt interdite peut être considéré comme l’un des premiers films "écologiques ».
« Le développement humain ne doit pas se faire au détriment de la nature, sinon elle se venge ! »
Hayao Miyazaki
L’idée de catastrophe fait progressivement son apparition dans les films, suite aux bombardements d’Hiroshima et de Nagasaki. Pluie Noire réalisé en 1989 par Shōhei Imamura décrit le souffle terrifiant, une pluie noire qui s’abat sur les corps mutilés et fantomatiques des irradiés devenus des parias dans le Japon d’après-guerre. La bombe atomique fait peser une menace sur l’avenir de l’humanité qui pourrait ainsi disparaître. Lorsqu’il a été mondialement diffusé dans les années 1950 et 1960, le cinéma japonais s’en est fait l’écho, avant que les États-Unis ne s’en saisissent, eux qui ont le savoir-faire des effets spéciaux.
Photogramme extrait du film Pluie noire de Shohei Immamura
En 1961, dans Le Jour où la terre prit feu de Val Guest, la terre se réchauffe. Le film décrit à sa façon l’été qu’on a connu en 2022. Nous sommes à Londres, la Tamise est à sec, c’est la canicule, l’eau est rationnée, un brouillard s’installe sur la capitale britannique qui suffoque. À partir des années 1970, commence à émerger une pensée écologique : le bien-fondé du progrès industriel est remis en question. L’industrie nucléaire est particulièrement visée. Le film le plus emblématique des peurs écologiques de cette époque est sans conteste Soleil vert de Richard Fleischer, réalisé1972. Le film se passe à New York en 2022 les personnages évoluent dans une atmosphère poisseuse et étouffante; le héros s’éponge sans cesse le front durant le film. Le climat est perturbé, mais aucun dérèglement climatique violent n’est montré. La fin de la planète est certes annoncée mais la nature, victime de l’action des hommes, ne réagit pas. Soleil vert se veut néanmoins un message d’alerte sur les préoccupations environnementales. Silent Running de Douglas Trumbull, sorti en 1975, se passe dans un futur où la terre est dévastée, contribue également à la prise de conscience environnementale.
Prise de conscience environnementale : l'urgence climatique, une nature qui riposte
Le cinéma est symptomatique des angoisses d’une société. Des films sortis après les années 2000 commencent à mettre en avant l’urgence de la crise environnementale et font du bouleversement climatique (sécheresses, fonte des glaces, inondations, raz de marée, pluies diluviennes) un argument. La planète Terre est montrée désormais comme capable de se révolter contre les agressions humaines qui ont détruit la nature (la biodiversité, les sols, l’eau). On passe d'une nature victime à une nature qui riposte.
On le voit tout d’abord dans le film de Roland Emmerich Le jour d’après (2004). Le film montre des villes dévastées par des perturbations météorologiques extrêmes. La terre est recouverte de glace. La planète réagit à sa façon aux agressions subies ; elle n’est pas passive. C’est donc une approche totalement différente de Soleil vert, où la terre n’apparaît jamais en tant qu’acteur.
Photogramme extrait du film Le Jour d’après de Roland Emerich
Cette vision est poussée à l’extrême dans le film de Davis Guggenheim (2006) retraçant le combat d’Al Gore contre le réchauffement climatique. Une vérité qui dérange insiste sur l’intensité des dérèglements climatiques. Al Gore utilise Katrina et l’émotion que cet événement a suscité pour convaincre. L’objectif principal de ce film est d’apporter au grand public les justifications scientifiques des risques liés au réchauffement climatique pour inciter chacun à changer de mode de vie.
L’eau, de préférence sous forme de glace, est devenue une arme essentielle du combat contre le réchauffement climatique. Dans Soleil vert, où il est sous-entendu que l’eau a presque disparu (océans, cours d’eau et glaces). Dans Le jour d’après, l’eau est omniprésente. C’est même le principal agent destructeur : inondation, raz-de-marée, neiges et glaces. Dans Une vérité qui dérange, la glace fond car l’atmosphère s’est réchauffée. La banquise et les paysages enneigés du Grand Nord sont l’objet d’imaginaires en pleine modification. Aujourd’hui, la banquise est symbole de virginité, de pureté. L’ours polaire devient la figure incontournable de ce Grand Nord arctique.
L’eau un bien commun en partage pour tous les êtres vivants : Un nouvel imaginaire à inventer
Photogramme extrait du film Mad Max Fury Road de George Miller
Beaucoup de personnes s'intéressent aujourd’hui à l'eau, essaient de comprendre son cycle dans l'air, le sol, le sous-sol, jusqu'à la mer, que ce soit pour saisir les mécanismes des pollutions qui touchent les nappes d'eau du robinet, l'assèchement de nombreux cours d'eau, ou les conséquences d'aménagements contestés. L’eau est devenue une ressource menacée. Dans une vidéo : Gérer l’eau, quels imaginaires, quels obstacles ?, Thomas Coispel analyse une quinzaine de films et explore, à travers des extraits, les différents imaginaires associés à la gestion de l’eau. Il identifie quatre imaginaires qui sont, selon lui, autant d’obstacles à la réflexion collective sur le partage équitable de l’eau. C es quatre imaginaires sont la loi de la jungle dans : Mad Max Fury Road (George Miller); Young ones (Jake Paltrow); l'adaptation technologique dans Dune (Denis Villeneuve); Wonderworld (Kevin Reynolds); Blade Runner 2049 (Denis Villeneuve); Approaching the Unknown (Mark Strong, Luke Wilson ); le complot permanent, dans Erin Brockovitch (Steven Soderbergh); Dark waters (Todd Haynes); Promise land (Gus Van Sant); Chinatown (Roman Polanski); l'impuissance collective dans Manon des sources (Claude Berri); Do the right thing (Spike Lee); Ben Hur (William Wyler).
Photogramme extrait du film Mad Max Fury Road de George Miller
Dans les films cités, les États-Unis sont malheureusement surreprésentés. L’Europe elle-même se contente de la portion congrue. Les grands absents sont l’Afrique et l’ensemble des pays en développement. Ces films, s’ils ne sont pas légion, existent
néanmoins, et montrent une autre réalité où l’urence est souvent plus pressante. Ainsi,
Marcher sur l'eau, d’Aïssa Maïga, tourné dans le nord du Niger entre 2018 et 2020, raconte l’histoire d’un village vctime du réchauffement climatique, qui se bat pour avoir accès à l’eau.
Photogramme extrait du film Marcher sur l’eau de Aïssa Maïga
Ainsi, Les bêtes du sud sauvage, réalisé par Benh Zeitlin, tourné dans le Bayou, où la nature s’emballe à la suite de la fonte des glaciers libérant les eaux, et avec elles, une armée d’aurochs, Bacurau BA, de Kleber Mendonça Filho, tourné dans le Nordeste brésilien, qui raconte la disparition mystérieuse d’un village des cartes numériques avec une guerre de l’eau pour arrière-plan, Et même la Pluie, de Icíar Bollaín sur une révolte contre la privatisation de l’eau dans le village de Cochabamba en Bolivie (2001).
Photogramme extrait du film Et même la pluie de Icíar Boll
Et le cinéma français dans tout ça ?
Coline Serreau réalise, très tôt, en 1996, un film culte pour les écologistes : La belle verte. Luc Jacquet, après La Marche de l’Empereur, (2006), tourne La Glace et le Ciel, en 2015, dans un univers de neige, de gel, d’eau et de vent, consacré à Claude Lorius, qui a étudié les glaces de l’Antarctique dans les années 50 et été le premier à montrer que le réchauffement climatique était d’origine humaine. Mélanie Laurent et Cyril Dion réalisent 2015 un documentaire Demain, enquête dans dix pays pour tenter de comprendre comment éviter la catastrophe. Le film rencontrera un certain succès. Mais, en réalité, le cinéma français apparait timide sur la question climatique. En février 2023, à suite de la censure dont a été victime une activiste du climat lors de la cérémonie des Césars, une vingtaine de professionnels du cinéma signe à l’initiative de Cyril Dion une Tribune parue dans le Monde appelant le Septième Art à s’emparer davantage du sujet du changement climatique, et ne pas passer à côté de cette bataille qui permettra de garder un monde habitable pour tous :
« Nous, professionnels du cinéma, ne pouvons pas continuer à faire comme si de rien n’était tandis que notre planète devient inhabitable … d’autant plus que nous disposons d’un pouvoir extraordinaire : celui de participer à bouleverser les représentations du monde».
La question climatique, contairement à d’autres questions, aura, il est vrai, été totalement absente dans la cérémonie comme dans les films. Les signataires ont appelé à réinventer la manière de faire des films et à élaborer des récits qui nous aident à imaginer un futur juste et soutenable. À suivre donc !
Photogramme extrait du film La Glace et le ciel de Luc Jacquet
Pour finir rappelons cette citation de Gaston Bachelard :
« L’eau est un véritable élément psychique, un élément qui amasse les images dans nos rêves comme dans nos pensées, un élément qui règne dans notre conscience comme dans notre inconscient, un élément que nous aimons en nous et en dehors de nous. »
La poésie de l’eau - Causeries (1952-54)
Photogramme extrait du court-métrage de Jean Vigo La natation par Jean Taris
Et se souvenir combien la liste est longue des réalisateurs qui ont filmé pour notre plaisir l'eau pour elle-même, en dehors de toute préocupation climatique ou de disponiblité. Ces cinéaste qui ont fait d’elle un personnage à part entière, la travaillant comme un motif esthétique ou poétique, l’intégrant dans un récit comme élément signifiant. Epstein, Grémillon, L'Herbier, Vigo, Mizoguchi, Laughton, Cameron … ces cinéastes de l'élément liquide ont vu dans l'eau ce que Deleuze définissait comme "la promesse ou l'indication d'un autre état, une autre perception (...) une perception plus qu'humaine, plus fine, plus moléculaire."
La sélection que nous vous proposons ci-dessous en tient compte.
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Pour information, la consommation d’eau par jour et par personne est supérieure à 250 litres au Canada, Etats-Unis, Australie Suisse et Japon, de 130 à 160 litres au Danemark, Royaume-Uni, Luxembourg, en France et en Irlande, de 50 à 100 litres en Asie et en Amérique Latine, d 10 à 20 litres en Afrique Sub-Saharienne.
Sources Eurostat + Ifen + Conseil mondial de l’eau
Remerciements :
Marie-Pierre Padovani et Agathe Cohen
Pôle Eau Plastique Seine
Direction de la Transition Ecologique et du Climat de la Mairie de Paris
Académie du Climat
Sources :
Dernières Nouvelles d’Alsace : « Le cinéma met en garde depuis longtemps », Intw de Véronique Le Bris, 5 mars 2023
Le Monde : « Nous, professionnels du cinéma, ne pouvons pas continuer à faire comme si de rien n’était tandis que notre planète devient inhabitable », 22 février 2023
Le catastrophisme climatique dans le cinéma grand public, Nathalie Magne
Gérer l'eau durablement: quels imaginaires dans les films ? vidéo de Thomas Coispel
Par Joseph G., bibliothèque Marguerite Audoux