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Sélection Photographies en guerre
Susan Meiselas - Sandinistes devant le quartier général de la Garde nationale à Estelí. ( Nicaragua, juillet 1979 © Susan Meiselas / Magnum Photos). Extrait de l'exposition "Femmes photographes de guerre" au Musée de la Libération.
Du siège de Rome par l’armée française en 1849 à la guerre civile en Syrie (depuis 2011) et au terrorisme des années 2015 qui ont frappé en plein cœur la Ville de Paris, la photographie a toujours été au cœur des conflits armés. En écho aux expositions "Photographies en guerre" au Musée des Armées, qui vient de se terminer, et "Femmes photographes de guerre" qui se déroule au Musée de la Libération de Paris jusqu'au 31 décembre 2022, découvrez notre sélection de documents à emprunter en bibliothèque sur le sujet.
Les vues panoramiques de la destruction de Rome en 1849 (Stefano Lecchi), le Panorama de Sébastopol en ruines par Léon-Eugène Méhédin en1855, les portraits de cosaques de la guerre de Crimée par Carol Popp de Szathmary la première représentation photographique connue de la mort sur un champ de bataille attribué à Jules Couppier à Melegnano en 1859 attestent que la photographie a, dès son invention, été le médium le plus approprié pour apporter un témoignage sur les conflits.
Si elle a largement contribué à dénoncer les massacres, destructions, génocides ou attentats, la photographie a aussi été vecteur de propagande et pourvoyeuse de stéréotypes.
Ainsi, après avoir photographié la guerre de Crimée en 1855, Felice Beato - l’un des premiers photojournalistes en activité- contribue à la diffusion d’images impérialistes en faveur de la Grande-Bretagne par la diffusion de ses photographies stéréotypées (notamment celles sur la révolte des Cipayes en Inde en 1857-1858 puis celles de la Seconde guerre de l’opium en 1860).
Les années 1860-1900 actent la naissance de ce nouveau moyen d’information et l’émergence d’un marché économique de la photographie avec la diffusion des photographies de la Guerre de Sécession américaine et celles de la guerre Franco-allemande de 1870-1871.
Les soldats découvrent l’utilité des appareils de photographie, Ferdinand 1e, roi de Roumanie pose en souverain devant l’objectif, la pratique se démocratise et la presse illustrée se développe : les états vont progressivement s’emparer du médium.
Si dès 1855, Louis Cyrus Macaire invite l’armée française à se doter d’un service photographique pour une meilleure maîtrise du territoire, il faudra attendre la Première guerre mondiale pour que la photographie devienne une arme de guerre en soi, qu’il s’agisse d’obtenir des renseignements (photographies aériennes) ou de tromper l’adversaire (propagande). Des photographes professionnels sont recrutés avec des ordres de missions très précis tandis que les soldats amateurs bravant l’interdiction de leur hiérarchie,immortalisent leur quotidien parfois à leurs risques et périls.
1920-1939 : l’essor du photojournalisme
La guerre d’Espagne : nouvel âge du photojournalisme :
Dès 1936, reporters et photographes affluent à Madrid et Barcelone, les écrivains suivront (Ernest Hemingway s’engage en 1937). Les deux camps vont se battre tout autant sur le terrain qu’à grand renfort d’images dramatiques s’étalant en une des quotidiens. Il s’agit une véritable guerre de propagande : les partisans de Franco font circuler des images d’exactions antireligieuses, les républicains glorifient le peuple en lutte.
Gerda Taro et Robert Capa vont révolutionner la profession par leur présence en première ligne. Leur production oscillera sans cesse entre photojournalisme et défense de la cause des Républicains quitte à tordre parfois la réalité. Ainsi, dans les années 70, la photo iconique attribuée à Robert Capa, Mort d’un soldat républicain, sera l’objet de polémiques car le modèle serait mort lors d’un entraînement dans une zone sans combat et non pas en pleine bataille. Cependant, leur corpus des thèmes photographiques à respecter (femmes et enfants victimes de guerre, villes détruites par les bombardements) demeure toujours d’actualité.
Gerda Taro trouve la mort en 1937 près de Brunete écrasée par un char républicain lors de violents combats. Elle est la première femme photographe de guerre à mourir au cours d’une mission. Si son travail est longtemps demeuré invisibilisé voire attribué à tort à Robert Capa (comme ce fut aussi le cas pour David Seymour dit « Chim »), son engagement sincère, ainsi que celui de ses confrères, est à l’origine d’une révolution du photojournalisme de guerre que Robert Capa théorise en 1938 : le traitement médiatique de la guerre civile espagnole démontre que les photographes doivent conserver la propriété de leurs négatifs, contrôler la publication de leurs images ainsi que leurs légendes. C’est sur cette base qu’est fondée en 1947 l’agence Magnum par Robert Capa, Chim, Henri Cartier-Bresson, et George Rodger sous la forme d’une coopérative.
1939-1945 : la Seconde Guerre mondiale : mentir, montrer, témoigner
Le recours à la photographie précède et accompagne l’ascension d’Adolf Hitler. La contribution du photographe du parti nazi Heinrich Hoffmann à la construction du mythe débute dans les années 20. La diffusion mondiale de la revue illustrée nazie Signal s’inspirantdes magazines Life et Paris Match accélèrela diffusion de la propagande nazie. Hoffmann fut à peine poursuivi après- guerre pour sa production qui fit, par ailleurs, sa fortune.
En France, dès 1940, le pays devient l’objet d’une guerre de propagande inédite et tripartite.
Les Alliés et la Résistance tentent de communiquer un récit de lutte contre l’Allemagne nazie dans la presse écrite afin de réveiller le peuple français et de contrer les images de propagande de la revue Signal ou des agences photographiques parisiennes sous contrôle allemand.
Dans la zone contrôlée par le régime de Vichy, la censure règne. Dès 1941 les Britanniques, puis les Américains, vont larguer des milliers d’exemplaires et de publications telles que Le Courrier de l’air et L’Amérique en guerre afin d’encourager les Français à la Résistance.
En zone libre, Julia Pirotte, fait partie de ceux qui ont contribuent à mettre la Résistance en images. Elle est à la fois reporter et actrice de l’événement en tant que résistante. Elle n’hésite pas, dans ses reportages, à reconstituer des actes de sabotages à des fins « pédagogiques ».
La photographie est aussi un acte de résistance pour de nombreux soldats ou réfractaires alsaciens à l’incorporation de force dans la Wehrmacht.
Révélation publique de la réalité des ghettos et des camps de concentration :
La photographie joue un rôle primordial d’information lors de la libération des camps nazis à partir de l’été 1944. Les images servent de preuves lors du procès de Nuremberg. Elles proviennent de plusieurs sources : armées alliées, reporters qui les accompagnent (Lee Miller, Margaret Bourke-White), autorités allemandes et aussi, d’images clandestines prises par des déportés (voir à ce sujet Éclats : prises de vues clandestines des camps nazis de Christophe Cognet ). Les photographies du ghetto de Varsovie prises en 1941 par Joe J. Heydecker, soldat allemand n’adhérant pas à l’idéologie nazie, ont également valeur de preuves.
Deux autres images de la Seconde guerre mondiale marquent, dans un registre différent, les esprits : Raising the Flag on Iwo Jima de Joe Rosenthal (prix Pulitzer pour cette photographie) et Le drapeau rouge sur le Reichstag d’Evgueni Khaldeï. Ces deux photographies prises par deux photographes accrédités par leurs armées respectives datent toutes les deux de 1945, elles se répondent et configurent les tensions à venir entre les États-Unis et l’Union Soviétique.
1946-1975 : Indochine et Vietnam : image contrôlée, image engagée
La guerre d’Indochine (1946-1954) : l’image contrôlée : seuls les photographes militaires sont autorisés à accompagner les opérations. L’armée valide les images fournies à la presse. Le contrôle est total : pas d’images de morts français, les « vertus colonisatrices » ne peuvent être remises en question. Paris Match tente de contourner la censure en vain, les images de son photographe sont censurées.L’histoire officielle se fabrique sans regard contradictoire. C’est le degré zéro du photojournalisme, un échec et une frustration énorme pour les reporters professionnels.
Guerre du Viêt Nam (1955-1975) : l’image engagée
A contrario, le Congrès américain n’ayant jamais voté cette guerre, la Guerre du Viêt Nam est considérée comme illégale par les pacifistes. Par conséquent, les autorités américaines ne peuvent exercer de censure officielle, Richard Nixon rend les médias et donc les photographes coupables de la défaite américaine. Le métier de photojournalistes est alors très respecté et les photoreporters sont nombreux sur le terrain (Christine Spengler, Catherine Leroy qui sera brièvement prisonnière durant l’offensive du Têt, Françoise Demulder, Philip Jones Griffiths). Pour la première fois, les médias ont l’occasion de montrer véritablement la guerre sous tous ses aspects.
Plusieurs images de ce conflit deviendront iconiques : l’immolation du moine par le feu de Malcolm Browne en 1963, La jeune fille à la fleur de Marc Riboud en 1967 et La petite fille au napalm de Nick Ut en 1951.
Même si certaines images ont trop caricaturé cette guerre (hélicoptères survolant la jungle, villages ravagés), on retient qu’elle fut une « guerre d’images influentes ».
A contrario, certains conflits et guerres de décolonisations seront peu documentés (guerre d’Algérie, 1954-1962, guerre froide (1945-1990).
1975 - …. : Guerres civiles et terrorisme : faut-il tout photographier ?
Après l’attentat du 23 octobre 1983 à Beyrouth visant les des troupes françaises et américaines, le photojournaliste Yan Morvan, présent sur place et auteur des photographies publiées dans Paris Match et Life témoigne de son malaise : peut-il tirer bénéfice financièrement de ce type d’image ? Considérant qu’elles étaient fidèles à lui-même et respectueuse des victimes dont on ne voit pas les corps, il les considère comme des images de vie, « des choses qui doivent être montrées », « ces photographies, c’est l’humanité dans l’horreur ».
Photographier l’horreur relève-t-il du devoir ou contribue-t-il à la brutalisation des sociétés ?
Quel positionnement adopter et quelles responsabilités assumer face à de tels actes à partir du moment où les terroristes combattent aussi par l’image ? Fallait-il publier dans Paris Match des photographies de décapitations en Syrie en 2013 ? Et si oui, comment ? À partir de quand plongeons-nous dans le voyeurisme ? Les membres du prix Bayeux des correspondants de guerre ont refusé de récompenser ce reportage.
En France, le photojournaliste Pierre Terdjman ayant précédemment couvert le conflit israélo-palestinien, se pose la même question le 13 novembre 2015 à Paris. Certains ont vu du voyeurisme dans ses photographies des victimes du Bataclan (en particulier, celle ne dissimulant pas le visage d’une victime), d’autres une catharsis.
Doit-on refuser de montrer des images de guerres et attentats par respect envers les victimes ? Selon Pierre Terdjman, le choix du photographe, s’il rend ses photos publiques, doit être guidé par le respect de le dignité humaine.
C’est ici que les notions d’éducation à l’image, de mise à distance (par le floutage par exemple), permettant de prendre du recul prennent toute leur importance (parler du Susan Sontag).
Certains photoreporters n’arriveront pas à affronter l’effet de leurs propres images et mettront fin à leurs jours. C’est le cas de Kevin Carter, photoreporter sud-africain qui, lors d’un reportage sur la guerre civile soudanaise prend en photo une enfant -en réalité il s’agissait d’un petit garçon- cernée par les vautours. Sa photo fera le tour du monde, il remportera le Prix Pulitzer et se suicidera perclus de dettes et hanté par les images de tueries, cadavres et d’enfants blessés.
En 2017, le journal Libération a moins de scrupules et décide de publier à la une, une photographie -à l’origine incertaine- d’enfants syriens tués par une attaque chimique. Le journal assume s’inscrire dans une démarche de dénonciation et de protection des civils à l’image des reporters détachés durant la guerre d’Espagne ou du travail de Nick Ut au Viêt Nam.
Montrer, exposer la guerre et vivre du photoreportage aujourd’hui
Jusqu’à l’avènement du numérique, les conflits à travers le monde sont principalement couverts par des photographes occidentaux. Les nouveaux modes et outils de communication vont bouleverser la donne du marché de l’image. Des locaux souvent anonymes vont fournir instantanément des milliers de preuves souvent décontextualisées.
La presse alors en difficulté avec l’information numérique gratuite cesse progressivement de rémunérer les photoreporters qui doivent bien souvent financer eux-mêmes leurs reportages et éprouvent des difficultés à vivre de leur métier. Certains intègrent donc un circuit parallèle, celui des expositions dans les galeries ou musées qui leur permettent de décliner leurs recherches et de trouver de nouveaux modes de financement, d’autres photographes s’approprient , détournent ou mettent en scène des images de guerre (série Weapon Show de Guillaume Herbaut, Alfredo Jaar). La production d’enquêtes documentaires dérivées telles que La ruine de sa demeure de Mathieu Pernot, No Comment de Frédéric Ploton ou encore celles de Gabriele Basilico, Paolo Pellegrin, Bruno Serralongue, Adrien Selbert, Maria Morina) représente une autre source de revenus.
Près de 2000 accréditations ont été octroyées à des journalistes étrangers depuis le déclenchement de la guerre en Ukraine. On déplore déjà plusieurs morts. Le métier de photoreporter demeure indispensable à toutes et tous.
Note : ce texte est largement inspiré de l’indispensable catalogue : Photographies en guerre : merci à leurs auteurs et autrices.
Pour aller plus loin :
https://www.museeliberation-leclerc-moulin.paris.fr/exhibitions/femmes-photographes-de-guerre
https://www.visapourlimage.com/