Du sport à la musique Le fabuleux destin du Chevalier de Saint-George
Du sport à la musique, il n'y a qu'un pas. La preuve, au XVIIIème siècle, avec le Chevalier de Saint-George, à la fois cavalier, nageur, escrimeur mais aussi chef d'orchestre et compositeur.
Talentueux, charismatique, séduisant. Cavalier accompli, excellent nageur, escrimeur hors pair. Danseur, poète, violoniste virtuose, chef d'orchestre prestigieux, compositeur réputé… Que la liste est longue !
Joseph Bologne de Saint-George a mené en parallèle ses deux carrières – sportive et musicale – en se hissant dans l’estime d’une cour conservatrice et aux préjugés racistes. Car il est né en Guadeloupe des amours illégitimes d’un riche planteur et de son esclave noire.
Le père, Georges, est nobliau, mais en application du Code noir, Joseph est esclave, comme sa mère Nanon. Ils ne seront tous deux affranchis que lorsqu’ils arriveront en France, Georges étant impliqué dans une affaire de meurtre qui l'oblige à quitter la Guadeloupe. Un mal pour un bien, car il destine son fils à une carrière militaire et souhaite pour lui la meilleure éducation. Il lui a prodigué les premiers enseignements sportifs et artistiques, et le confie à l’Académie Nicolas Texier de La Boëssière, en principe réservée aux aristocrates, qui va le préparer à servir le Roi comme officier de cavalerie. À l'âge de 19 ans, Joseph entre dans le corps des Gendarmes du Roi puis est fait chevalier.
Par ailleurs Gossec, qui semble-t-il lui a enseigné la composition, le nomme Premier violon puis Chef du Concert des Amateurs, connu pour être le meilleur orchestre de Paris et peut-être même d’Europe.
De barons en comtesses, marquises, ducs et princes, il devient proche de Marie-Antoinette, à laquelle il donne des cours de musique. Elle le propose pour diriger l’Académie royale de musique, mais il ne sera pas retenu, à cause d’une pétition de trois vedettes qui se détestent et dont les mœurs sont pour le moins légères mais qui, avec leur "honneur" et la "délicatesse de [leur] conscience", ne souhaitent pas être "soumises aux ordres d’un mulâtre"…
Qu'à cela ne tienne ! Le Chevalier accepte la direction du théâtre de Madame de Montesson, où sont donnés notamment ses opéras, et rejoint le cercle des opposants à Louis XVI, aux côtés du Duc d'Orléans qui fera de lui un franc-maçon. Il fait plusieurs voyages en Angleterre, devient un intime du Prince de Galles, croise le fer avec les meilleurs épéistes. Pendant la Révolution, alors que Gossec et Méhul s'investissent en composant pour la République, Saint-George forme un régiment de volontaires noirs, et nommera comme lieutenant-colonel le futur père d'Alexandre Dumas, lui aussi né aux Antilles. Quatre ans après la Déclaration des Droits de l'homme et du citoyen, l'esclavage est aboli. Mais Saint-George, soupçonné de sympathie royaliste, est destitué de son commandement et incarcéré presque deux ans. Déçu par la Révolution, il se réinvestit dans ses activités musicales, mais tombe malade et meurt en 1799. L'esclavage sera rétabli en 1802, et l'on s'empressera de l’oublier.
Personnage romanesque s'il en est, people dirions-nous aujourd'hui, le Chevalier de Saint-George a défrayé la chronique en son temps, et a alimenté jusque tard les fantasmes les plus fous, puisque d’aucuns lui prêtent une aventure avec la Reine ou des activités d'agent secret. Il est dorénavant un héros hollywoodien : Disney vient de lui consacrer une superproduction efficace mais controversée, car bien éloignée de la réalité historique, selon plusieurs de ses biographes. Pas besoin de voir un film qui n'est de toute façon même pas sorti en salles en France : on s'agacerait dès les premières minutes devant l'improbable et interminable joute violonistique dans laquelle Saint-George met à Mozart une sévère pâtée.
L'entertainment est ailleurs. Lisons plutôt, et écoutons la musique de ce prodige qui s’est illustré dans tous les styles, gagnant l’estime et la reconnaissance du milieu musical. Musique de chambre, concertos (14 concertos pour violon !), symphonies concertantes, opéras, mais aussi chansons, ariettes et romances… une sélection à découvrir ci-dessous.
Notons également trois biographies, toutes très documentées : celle de Claude Ribbe, fluide comme un roman, celle d'Alain Guédé, lyrique et passionnante, et celle de Pierre Bardin, rédigée dans un style plus universitaire. Et enfin, le livre de Michelle Garnier-Panafieu, un ouvrage musicologique remarquable, consacré à l'analyse technique et stylistique de l'œuvre de Saint-George assortie de très nombreux exemples musicaux.
Sélection
Partition
Symphonie concertante op. XIII : en sol majeur : pour deux violons et orchestre à cordes
Edité par A. Leduc
Partition
Trois sonates pour le clavecin ou forte piano : avec accompagnement de violon obligé
Edité par Minkoff
Musique
L'amant anonyme
Edité par Cedille Records - C 2022
Haymarket Opera, la première compagnie dopéra de Chicago qui présente des performances historiquement informées jouées sur des instruments de lépoque classique du XVIIIe siècle, joue sur cet enregistrement en première mondiale de LAmant Anonyme (The Anonymous Lover) de Joseph Bologne, Chevalier de Saint-Georges (1745 -1799). Créé en 1780, LAmant Anonyme a été le plus réussi des six opéras de Bologne et est le seul à avoir survécu jusquà nos jours. Inspirée dune pièce de la patronne du compositeur Félicité de Genlis, qui était une écrivaine respectée de lépoque, loeuvre est un opéra-comique en ...
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Ariane Badie, Médiathèque musicale de Paris