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Nous étions seuls : une histoire diplomatique de la France : 1919-1939
Edité par Editions Tallandier - paru en DL 2023
Une relecture de l'entre-deux-guerres, des derniers jours de la défaite allemande en 1919 jusqu'à l'invasion de la Pologne par l'Allemagne nazie en 1939. L'ancien ambassadeur livre une vision personnelle de cette période cruciale, offrant une démonstration de l'isolement de la France qu'il agrémente de portraits des principaux acteurs. ©Electre 2023
Collection : Essais
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Nous étions seuls
« Qu’en 1918, les Anglo-Saxons aient de leurs propres mains recréé la puissance allemande, qu’avant même de connaître ce nom fatidique ils aient été les managers d’Adolf Hitler, que ce soit de la France de Verdun saignée à blanc que nos subtils alliés aient pris ombrage, cela c’est de l’histoire à quoi nous sommes habitués et qui ne nous étonne plus […] » F. Mauriac, « L’idée de bonheur », Le Figaro, rep. in Journal V, François MAURIAC, Journal. Mémoires politiques (1953). Prés. Jean-Luc Barré, Bouquins, Robert Laffont, 2008, pp. 440-442. Je présente ici quelques explications sur les raisons qui m’ont fait considérer le livre de Gérard Araud comme important. Tout d’abord, j’appartiens à une génération marquée par La France de Vichy de Paxton, qui présentait notre pays comme favorable à la Collaboration avec l’Allemagne nazie, ou au mieux passif, dans sa très grande majorité. J’entrevoyais déjà un écart entre les thèses de ce livre, devenu une Bible pour certains (avec le très contestable Le Chagrin et la pitié), et les expériences, très diverses, vécues par ma famille proche. Ensuite, en contact avec de nombreux étrangers du fait de ma vie professionnelle et personnelle, j’ai mesuré l’ampleur et la vigueur d’une perception, très négative, presque désespérante, de la France dans la Deuxième Guerre mondiale, due en grande partie à la construction de l’histoire par les vainqueurs anglo-saxons. Construction qui se diffuse par les universités chargées de former les « élites dirigeantes ». Cette perception négative ne concerne pas que le passé, ce n’est pas une « vieille histoire » ! : les pressions qu’exercent les États-Unis sur la France à propos de questions très variées jouent implicitement sur la reconnaissance éternelle qui leur serait due pour leur rôle de sauveur. Le procès en « anti-américanisme », intenté aux personnes qui mettent en cause la bonne conscience des gouvernements américains et de leur propagande, me laisse indifférent ou, plus précisément, ne me concerne pas. J’aime les États-Unis, où j’ai passé trois années merveilleuses au début de ma carrière, entouré d’amis que j’ai gardés depuis quarante ans. Je n’ai jamais caché à ces amis mes réserves sur la politique américaine et cela n’a pas entaché nos relations. Ces amis, pas seulement eux d’ailleurs, font partie des motifs pour lesquels je souhaite garder des relations avec ce pays, qui ne se réduit pas à ses gouvernements. Enfin (est-il besoin de le dire ?), je n’oublie pas le sacrifice de milliers de jeunes Américains, qui n’avaient certainement pas rêvé de mourir sur notre territoire. Sacrifice que le plus ouvertement « anti-américain » de nos dirigeants, Charles de Gaulle, avait bien en tête quand il a reçu Eisenhower, de façon très chaleureuse, à Paris, le 2 septembre 1959. Dans mon Panthéon personnel figurent des figures comme celles d’Alan Seeger, Ann Morgan, Henry et Barbara Church, Varian Fry, William Bullitt, sans parler de tous les mécènes qui ont soutenu des bibliothèques ou des musées français, contribué à la fondation d’hôpitaux, aidé de la façon la plus discrète des écrivains… Ils sont aussi les États-Unis que j’aime. Je voudrais dire aussi que le constat établi par le livre de Gérard Araud n’a pas pour but de nous exonérer, nous, Français, de nos fautes et de nos erreurs, nombreuses. Seulement, quand le grand historien Duroselle intitule le premier de ses volumes sur l’histoire de la diplomatie française La Décadence (avant L’Abîme… deux lecture fondamentales et indispensables), le titre suggère, dans la perspective anglo-saxonne et allemande, que les Français de l’entre-deux guerres étaient décadents… Pour moi, leur plongée dans l’abîme a été fortement aidée par les gouvernements anglais et américains successifs, qui nous ont tenu la tête sous l’eau pendant notre lente noyade. Avant la lecture du livre, je vous suggère quelques pistes qui peuvent contribuer à sa compréhension. Tout d’abord, une remarque du grand Duroselle à propos de la sous-exploitation des archives françaises, à laquelle il a remédié, en particulier par ces deux livres essentiels que sont La Décadence (1979) et L’Abîme (1982) : « Les quelques ouvrages et articles existants, anglais et américains, concernant la politique étrangère française semblent avoir été écrits essentiellement d’après les sources anglo-saxonnes, puis complétés avec des archives françaises qui font l’objet de listes impressionnantes dans les bibliographies, mais apparaissent beaucoup plus rarement dans les appareils critiques. », La Décadence 1932-1939, Imprimerie nationale, 1979, pp. 9-10. Des livres ou articles écrits par des Américains, qui témoignent de l’existence aux États-Unis d’un courant contestataire, tout à l’honneur de ce pays : - James Q. Whitman, Le modèle américain d’Hitler. Comment les lois raciales américaines inspirèrent les nazis. Préf. J. Chapoutot. Armand Colin, 2018 (disponible dans les bibliothèques municipales de Paris) - Adam Tooze, “When We Loved Mussolini” [on Migone’s The United States and Fascist Italy: The Rise of American Finance in Europe, Cambridge University Press], The New York Review of Books, August 18, 2016, pp. 55-57. - R. Billstein, K. Fings, A. Kugler, N. Levis, Working for the Enemy: Ford, General Motors, and Forced Labor during the Second World War, New York and Oxford, Berghahn Books, 2000.] - - John Sweets (trad. de l'anglais par René Guyonnet), Clermont-Ferrand à l'heure allemande [« Choices in Vichy France: The French Under Nazi Occupation »] [« Choix dans la France de Vichy : les Français sous l'occupation nazie »], Plon, 1996 (disponible dans les bibliothèques municipales de Paris) Enfin, voici quelques références qui ont attiré mon attention : - E. Roudinesco , « Le président est-il devenu fou ? », de Patrick Weil : la capacité de Woodrow Wilson à disposer de lui-même, Le Monde, 31 mars 2022 - Gabriel Gorodetsky, « Jeu d’alliances fatal dans l’Europe de 1938. UN autre récit des accords de Munich », Le Monde diplomatique, octobre 2018, p. 23. - Gérard Araud, Le traité de Versailles était-il un diktat ? Commentaire, n° 154, Été 2016 - Gérard Araud, La descente aux enfers. La politique étrangère de la France de 1919 à 1939, Commentaire, n° 150, Été 2015 - « Des camions américains pour l’armée nazie », Lotta comunista, mai 2015, rep. in L’Internationaliste, janvier 2016, p. 13 - Jean-Pierre Richardot, 100 000 morts oubliés La Bataille de France 10 mai – 25 juin 1940, le cherche midi, 2009 (disponible dans les bibliothèques municipales de Paris) - Simon Serfaty, La France vue par les Etats-Unis : réflexions sur la francophobie à Washington, Centre français sur les Etats-Unis, IFRI, novembre 2002
Jean Le Grénot - Le 13 août 2023 à 16:41